Récemment, j’ai visionné un documentaire qui tentait de mettre en corrélation la force de l’esprit avec la matière. Autrement dit, il s’agissait d’étudier les degrés d’influence de l’esprit humain sur la matière et sur notre environnement. L’expérience est la suivante : un petit robot est programmé pour se déplacer de manière totalement aléatoire. Durant plusieurs semaines, un poussin est placé dans un espace fermé avec ce même petit robot. Cette expérience est associée au postulat que le poussin adopte systématiquement comme parent toute créature ou objet qu’il fréquente les premiers moments de sa vie. Durant quelques semaines, le mini robot et le poussin, pendant environ une heure, cohabitent. Le robot se déplace de manière aléatoire tandis le poussin le talonne. Au bout de quelques semaines, le poussin est placé dans une petite boîte, toujours dans le même espace que le robot. Etonnant mais vrai : le robot prend des trajectoires systématiques, orientées vers le lieu où est cloisonné le poussin. En comparaison avec les trajectoires extrêmement disparates dans l’espace des semaines précédentes, cette fois-ci le robot semble être attiré par le poussin. Hypothèse : le mental du poussin agit sur le robot et conditionne de fait son fonctionnement.
Pourquoi cette introduction mi-scientifique mi-métaphysique ? C’est là où le Ministre de l’industrie (ou de l’investissement me corrigerait-il) intervient. Son discours, lors de l’université de la CGEM, a rapidement fait feu de tout bois dans l’opinion publique. En marge de quelques données chiffrées et de joutes multi-cibles, moi j’y ai vu une illustration presque parfaite de l’aventure métaphysique entre le robot et le poussin. Moulay Hafid El Alamy a souligné le rapport systémique ou synergique entre l’esprit (cette fois-ci collectif) et celui de la matière (cette fois-ci économique et sociale). Autrement dit, analogiquement, les poussins seraient nos industriels et le robot notre économie. L’ « auto-contamination » dont nous parle le Ministre n’est pas une vue de l’esprit mais bien un process psychosomatique qui influe directement sur la marche de notre économie et de notre société de manière générale. Le négativisme n’est pas une traduction véridique du réel mais une interprétation symptomatique de celui-ci. Le corps social marocain souffrirait aujourd’hui de névroses multifactorielles : culpabilité de classe, incongruité du marché, peur de l’avenir, anomie sociale, confiance discontinue, etc. Cette sinistrose, terme si bien marketé de nos jours, fige désormais le réel jusqu’à rendre quasi impossible les raisonnements constructifs et fédérateurs. La psychée sociale actuelle est on ne peut plus castratrice. L’éveil des consciences consuméristes, associé à la crédulité humaine et à une forme de paresse intellectuelle nous offre le prélude d’une crise essentielle (au sens essence humaine) structurelle dans notre pays.
Finalement, il est bien plus intéressant de se concentrer sur le message politique et sociologique du Ministre que sur les quelques arguments d’ordre technique pour justifier le succès de tel secteur ou telle filière dans notre pays. En effet, difficile de dire tout va bien quand tout va mal. Difficile aussi de séparer le bon grain de l’ivraie. Je dirai même qu’il est difficile d’arrêter les vagues avec ses mains. Mais dans cette difficulté, la posture psychologique de notre élite, et de ses satellites, a son importance.
Psychologie de comptoir, me rétorqueront certains. Peut-être bien. Je ne suis ni psychologue, ni sociologue, ni médecin. Je suis dirigeant d’une PME marocaine, soumis aux difficultés listées dans les rapports de la Banque Mondiale. Je suis responsable de mes échecs et de mes ressentis. Je suis responsable de ma frustration et de ma colère. J’assume ma déception face aux errements de notre pays, et j’en porte le fardeau. Et c’est dans cette posture que je prends conscience du réel et deviens acteur/moteur de mon environnement, bon gré, mal gré. Responsabiliser autrui, c’est manipuler mon esprit pour justifier mes échecs. Manipuler mon esprit, c’est reconnaître sa fragilité et sa faiblesse. Et c’est là où la célèbre citation de M. Luther King prend tout son sens : « la véritable grandeur d’un homme ne se mesure pas à des moments où il est à son aise, mais lorsqu’il traverse une période de controverses et de défis ».
Quelles solutions je propose ? Créer un Ministère du Bonheur comme en Inde ? Créer les assises de la philosophie stoïcienne ? Créer le G14 des bienveillants ? Mes idées sont aussi farfelues que les problèmes qu’elles sont censées résoudre. Cela dit, dans le respect de la tradition freudienne, je chercherai les réponses du côté de notre tendre enfance. Lorsque l’on apprend à nos jeunes têtes crépues dès leur plus jeune âge comment laver un mort ou comment les châtiments de l’enfer peuvent être une menace quotidienne, tandis que dans d’autres pays, les enfants, certes aux cheveux plus lisses, apprennent la conscience de soi, la responsabilité collective et l’émancipation individuelle, nous pouvons entrapercevoir un soupçon de solution. Finalement, et encore une fois, tout débute avec le poussin…